Différents ingrédients peuvent contribuer à la création d’un environnement sécurisant et émotionnellement favorable aux apprentissages. Parmi les différents cadres théoriques élaborés depuis environ un demi-siècle, la théorie de l’autodétermination (self-determination theory, Deci, 1975 ; Deci et Ryan, 1985) constitue un domaine particulièrement fertile, non seulement dans le champ de l’éducation, mais aussi dans celui de la santé ou des organisations. Elle a été élaborée à partir des années 1970 par le chercheur en psychologie Edward Deci, rejoint par Richard Ryan. La « grille de lecture » qu’elle propose permet de mettre des mots sur ce que nombre de professionnels de l’éducation font déjà spontanément ou de façon intuitive.
La théorie de l’auto-détermination repose sur une prémisse fondamentale : les humains sont naturellement curieux, désireux d’apprendre et de comprendre le monde qui les entoure (Nimiec et Ryan, 2009). Cette propension naturelle à l’apprentissage constitue une ressource sur laquelle les éducateurs devraient pouvoir prendre appui, mais les contraintes du système scolaire (programmes surchargés, notes, évaluations, comparaison des élèves entre eux) viennent trop souvent la contrarier et affectent la motivation et les dispositions des élèves par rapport aux apprentissages. De nombreux travaux montrent que lorsqu’une activité est effectuée par choix et non par obligation, elle est associée à un niveau de bien-être plus élevé, à un meilleur engagement et à de meilleures performances.
Comment créer, en classe, un tel environnement qui favorise la curiosité et l’engagement tout en répondant aux attentes institutionnelles, notamment par rapport aux programmes ? Les travaux de Deci et Ryan ont notamment montré que, pour permettre un fonctionnement optimal des individus, la satisfaction de trois « besoins psychologiques » était nécessaire : le besoin de compétence, le besoin d’autonomie et le besoin d’appartenance sociale (Deci et Ryan, 2000 ; 2002 ; 2008).
Le besoin d’autonomie de l’individu est satisfait lorsque celui-ci se sent libre de choisir et d’organiser lui-même ses actions. L’autonomie renvoie au fait qu’une personne dispose d’une latitude décisionnelle suffisante pour se percevoir comme l’agent qui décide de réaliser une action donnée, elle ne doit pas être confondue avec une totale liberté dénuée de cadre, avec l’indépendance ou avec l’individualisme.
Le sentiment d’appartenance sociale (relatedness) – terme parfois rendu en français par relation avec autrui ou affiliation sociale – implique de développer avec autrui des relations satisfaisantes et sécurisantes, caractérisées par le respect mutuel et par une alliance positive (Baumeister et Leary, 1995 ; Deci et Ryan, 2002).
La notion de compétence fait référence au sentiment d’efficacité (Deci, 1975 ; White, 1959). Il est à noter qu’il s’agit spécifiquement de la compétence perçue, qui ne correspond pas toujours au niveau réel de compétence de l’individu. Le besoin de compétence se manifeste par l’envie de développer de nouvelles compétences ou de relever des défis (White, 1959 ; Deci et Ryan, 2002). Il est comblé lorsque l’individu se sent apte à exécuter une tâche et atteint les résultats escomptés (Deci et Ryan, 2000 ; 2002), mais aussi lorsque la réalisation de la tâche s’accompagne d’un retour (feedback) constructif (Vallerand et Reid, 1984 ; Deci, Vallerand, Pelletier et Ryan, 1991). Ce feedback peut d’ailleurs être positif ou négatif selon que le résultat de l’activité a été atteint ou non : un feedback négatif n’a pas nécessairement pour effet de diminuer la motivation de celui qui le reçoit : tout dépend du contexte — contrôlant ou non — dans lequel il est donné. Il est « le véhicule par excellence de la sensation de compétence de l’élève » (Fenouillet, 2001). Le sentiment de compétence est indissociable de celui d’autonomie (Ryan, Mims et Koestner, 1983).
Pour les enseignants, une piste pour créer un environnement d’apprentissage optimal peut être de proposer des activités qui motivent les élèves, tout en veillant à satisfaire au maximum ces trois besoins psychologiques fondamentaux.
Les différents articles ont été rédigés par Pascale Haag (EHESS, BONHEURS, LSN) et Lisa Cognard (université Paris Diderot, CRI, LSN). Retrouvez les précédents épisodes : (1) Qu’est-ce qu’une émotion ? (2) Un peu d’histoire (3) Un fait social (4) Dans le corps et dans le cerveau (5) Développement de l’enfant
Un grand merci à Margot Le Lepvrier pour les illustrations
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