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À la découverte des émotions (8) : Les émotions des enseignants

Dernière mise à jour : 20 avr. 2021



À l’heure où l’évolution du système éducatif se traduit par une complexification et une intensification du travail enseignant, savoir travailler sur ses émotions et avec ses émotions est devenu un aspect important de l’activité quotidienne des enseignants. En effet, les élèves ne sont pas seuls à ressentir des émotions : c’est également le cas des enseignants qui peuvent tantôt se réjouir des progrès de leurs élèves, tantôt éprouver de la frustration devant un enfant dissipé qui perturbe le fonctionnement de la classe ou de l’anxiété à l’idée d’une inspection prochaine.

Cependant, dans notre civilisation occidentale où l’inhibition des émotions constitue une norme culturelle (Scherer, Rimé et Chipp, 1989), parler des émotions des enseignants ne va pas de soi et le « travail émotionnel » (emotional work) quotidien tel que le définit, par exemple, Hargreaves (2005) – c’est-à-dire les efforts nécessaires pour modifier, contrôler, neutraliser, ou encore amplifier ses émotions en fonction de la situation et en vue d’atteindre des objectifs éducatifs – est encore rarement étudié. C’est principalement auprès d’enseignants débutants que les émotions des enseignants face à leurs élèves ont fait l’objet de travaux. Les résultats indiquent que « les cinq ou sept premières années du métier constituent une période critique pendant laquelle l’activité professionnelle s’accompagne d’émotions fortes et souvent négatives », qui s’expliquent principalement par « la difficulté à apprendre conjointement des gestes professionnels nouveaux et à maîtriser leurs émotions sous le regard des élèves, des autres collègues, mais également par le décalage entre leurs attentes et la perception de la situation dans laquelle ils sont engagés » (Visioli, Petiot et Ria, 2015).

De telles émotions affectent inévitablement la manière d’enseigner et la relation avec les élèves. Cette dimension sociale et communicationnelle des émotions a longtemps été ignorée, mais depuis le tournant du XXIe siècle, un nombre croissant d’auteurs cherche à comprendre comment la communication suscite des émotions et comment les émotions nourrissent la communication (Lipiansky, 1998 ; Livet, 2002 ; Manstead et Fisher, 2001 ; Mesquita et Ellsworth, 2001). En classe également, les émotions des enseignants se communiquent aux élèves : un enseignant très enthousiaste communique son plaisir de transmettre à ses élèves (Frenzel et al., 2009). Une étude de 2014 réalisée auprès de 149 élèves de 15 ans a montré qu’ils perçoivent certaines émotions des enseignants et qu’ils en sont affectés à leur tour par un phénomène de « contagion émotionnelle » (Hatfield, Cacioppo, et Rapson, 1994). En outre, les élèves arrivent en classe avec des humeurs différentes les uns des autres. Celles-ci peuvent également affecter leur perception des émotions. Prendre cinq minutes au début d’un cours pour proposer une activité de relaxation permettrait à l’état émotionnel de tous les élèves de s’harmoniser et les rendrait plus disponibles pour les apprentissages (Becker et al., 2014).

Dans certains cas, c’est un élève ou un groupe d’élèves en particulier qui suscitent chez l’enseignant des émotions dont il lui est difficile de faire abstraction, par exemple, dans le cas de comportements qui perturbent de façon récurrente l’ensemble de la classe. Une telle situation peut amener l’enseignant à focaliser une grande partie de son attention sur les éléments perturbateurs, au détriment d’autres élèves (Sutton et Wheatley, 2003). Le soutien d’autres membres de l’équipe pédagogique est alors essentiel et des recherches montrent que, dans les environnements difficiles, une approche systémique impliquant l’ensemble de l’établissement permet d’obtenir des résultats satisfaisants. C’est ce que propose notamment l’approche par le « Soutien au comportement positif », inspiré du dispositif nord-américain School-wide Positive Behavioral Support (Sugai et Horner, 2006). Adapté en français par Steve Bissonnette, il est très utilisé au Québec et a commencé à donner lieu à des expérimentations prometteuses en Belgique et en France (Bissonnette, 2017 ; Kubiszewski, 2018). Il repose sur l’idée qu’une majorité d’élèves est en mesure d’agir en adéquation avec les comportements attendus d’eux si ces comportements font l’objet d’un enseignement explicite au même titre que les disciplines scolaires et si certaines procédures sont mises en œuvre pour soutenir ces comportements. Une amélioration du climat scolaire en résulte, qui est intimement liée au bien-être scolaire des élèves autant que des enseignants (Marsollier, 2017).

Visioli, Petiot et Ria (2015) examinent la question des émotions à partir de différents angles théoriques – les sciences cognitives, la psychanalyse, l’action « située » et l’approche sociale dans les sciences de l’éducation – et suggèrent en conclusion que l’approche sociale des émotions est celle qui permet le mieux de prendre en compte les dimensions sociales et communicationnelles des émotions présentes lors des situations de classe, même s’il est difficile de mettre en place des protocoles rigoureux permettant de les étudier de façon empirique. L’émergence de telles recherches permet aussi de libérer la parole pour mettre des mots sur un aspect longtemps passé sous silence de la profession d’enseignant.

Les différents articles ont été rédigés par Pascale Haag (EHESS, BONHEURS, LSN) et Lisa Cognard (université Paris Diderot, CRI, LSN). Retrouvez les précédents épisodes : (1) Qu’est-ce qu’une émotion ? (2) Un peu d’histoire (3) Un fait social  (4) Dans le corps et dans le cerveau (5) Développement de l’enfant

Un grand merci à Margot Le Lepvrier pour les illustrations


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