Malgré d’importantes avancées au cours des dernières décennies, le champ des recherches sur les émotions est encore loin d’être circonscrit ! Au terme de ces pérégrinations au fil des âges et des disciplines, nous espérons avoir donné un aperçu des différentes facettes de cet objet complexe que l’on nomme « émotion ». Si les émotions sont universelles – tous les humains et nombre d’animaux en ressentent –, leurs manifestations varient considérablement selon le contexte historique, social et culturel.
Ainsi que nous l’avons vu, certaines disciplines comme la psychologie, les neurosciences et les sciences cognitives s’attachent à définir, comprendre, évaluer les processus émotionnels et leur régulation, en s’intéressant avant tout aux dimensions physiologiques et biologiques ; les sciences sociales, comme l’anthropologie, la sociologie ou l’histoire envisagent principalement les émotions comme socialement et culturellement construites dans un environnement situé, mais se heurtent aux limites du relativisme culturel. Depuis une vingtaine d’années, cependant, un nombre de plus en plus important de chercheurs tente de résoudre les apories qui découlent des approches disciplinaires en croisant les regards entre biologie, sciences cognitives et sciences sociales.
Parmi eux, le neuroscientifique Damasio reconnaît désormais l’existence d’une « homéostasie socio-culturelle » qui serait située au niveau cortical et il admet l’idée que le développement culturel est susceptible de modifier le génome humain (Deluermoz, Fureix, Mazurel et Oualdi, 2013). Ainsi que nous l’avons vu, des sociologues comme Cléopâtre Montandon (1992) ou des historiens comme William Reddy (2010 ; 2019) proposent de réconcilier les points de vue sans opposer « processus biologique » et « construction sociale », en considérant les émotions comme des habitudes cognitives incorporées, indissociables des apprentissages et des codes sociaux.
De ces différents points de vue, on retiendra notamment pour notre propos que les émotions sont constitutives du lien social puisque, ainsi que le souligne le sociologue Norbert Elias (1969) « aucune société ne peut exister sans une canalisation des pulsions et émotions individuelles, sans une régulation précise des comportements de chacun ». Pour les parents et les éducateurs, il convient dès lors de s’interroger sur la manière dont sont transmis aux enfants, aux élèves, les codes émotionnels de leur groupe d’appartenance pour favoriser leur intégration sociale et leur réussite scolaire.
Finalement, toutes ces recherches sur les émotions ne sauraient se suffire à elles-mêmes ni constituer une fin en soi : elles prennent tout leur sens dès lors qu’elles permettent de mieux comprendre l’expérience humaine, de remettre en question certaines de nos idées préconçues, ou encore lorsqu’elles éclairent nos décisions et guident nos pratiques. Que nous en ayons conscience ou non, que nous le voulions ou non, les émotions font partie de notre vie quotidienne, mais elles sont encore trop souvent ignorées, en particulier en contexte scolaire. Apprendre à les identifier, à les accueillir et à cultiver celles qui favorisent l’épanouissement du potentiel de chacun – enfant ou adulte – est un cheminement dont l’itinéraire n’est pas tracé d’avance et qu’il nous appartient d’inventer. Nous espérons que ces pages contribueront à nourrir celles et ceux qui ont pour vocation d’accompagner les premiers pas des enfants dans ce voyage.
Les différents articles ont été rédigés par Pascale Haag (EHESS, BONHEURS, LSN) et Lisa Cognard (université Paris Diderot, CRI, LSN). Retrouvez les précédents épisodes :(1) Qu’est-ce qu’une émotion ? (2) Un peu d’histoire (3) Un fait social (4) Dans le corps et dans le cerveau (5) Développement de l’enfant
(7) Emotions et apprentissages (8) Les émotions des enseignants (9) Environnement émotionnellement favorable aux apprentissages
Un grand merci à Margot Le Lepvrier pour les illustrations
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