Les Petites bulles d’oxygène sont des rencontres de partage de pratiques organisées par le Lab School Network (LSN) depuis 2017. Elles ont lieu une fois par période scolaire (soit 5 fois par an, voir le calendrier à la fin du document) et visent à permettre à des acteurs éducatifs d’horizons divers de se rencontrer, d’échanger, de découvrir des initiatives portées par des collectifs de chercheurs ou par des associations et de participer à l’organisation d’événements.
L’objectif du LSN étant de mettre la recherche au service de la réussite éducative, nous souhaitons aujourd’hui les faire évoluer pour expérimenter un nouveau dispositif, tout au long de l’année scolaire 2019-2020. Les Petites bulles d’oxygène constitueront le cadre d’une recherche-action collaborative sur la question : pourquoi et comment devenir un praticien réflexif ?
Cette recherche-action sera menée en parallèle dans différents cadres et donnera lieu à des collaborations en France et à l’étranger. Un travail a déjà commencé avec une équipe du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) dirigée par Ignacio Atal, qui travaille sur des thématiques proches. La structuration des ateliers sera élaborée en commun et un guide est en cours de rédaction de façon à permettre leur animation par différentes personnes. Des ateliers seront également organisés sur le même modèle dans d’autres villes ou pays. Les données recueillies seront partagées, de façon à permettre aux participants de s’enrichir mutuellement de leurs expériences et de leurs réflexions.
Qu’est-ce qu’une recherche-action collaborative ?
La recherche-action est une méthode apparue dans les années 1940, dont la paternité est le plus souvent attribuée à Kurt Lewin. Il s’agit d’une démarche de recherche spécifique aux sciences de l’homme et d’une méthode d’intervention reliées à des pratiques de changement individuels ou collectifs. Parmi les nombreuses définitions proposées, retenons celle de R.N. Rapoport (1970) : une recherche-action est un projet qui réponde « à la fois aux préoccupations pratiques d’acteurs se trouvant en situation problématique et au développement des sciences sociales, par une collaboration qui les relie selon un schéma éthique mutuellement acceptable ».
Cependant, la collaboration ou coopération entre chercheurs et professionnels de l’éducation (ou tout autre praticien) ne se décrète pas et ne va pas de soi. Les objectifs et les attentes des uns et des autres diffèrent bien souvent : les enseignants souhaitent trouver des solutions et des réponses à leurs questionnements, tandis que la recherche vise avant tout à la description et à la compréhension des phénomènes observés. Si les recherches-actions constituent pour les chercheurs une opportunité de renouveler leurs conceptions de la science et de la recherche, elles soulèvent également un certain nombre de difficultés épistémologiques et méthodologiques. Elles s’accompagnent en outre nécessairement d’un changement de posture et d’une redéfinition des rôles de l’ensemble des parties prenantes.
Cette redéfinition des rôles s’inscrit dans un contexte de remise en question, depuis les années 1970, de la division classique du travail entre chercheurs professionnels « producteurs de connaissances », et praticiens détenteurs de savoirs d’expérience et d’action, « exclus du champ de la connaissance légitime ». Selon certains auteurs, un nouveau « contrat science-société », distinct de celui qui dominait dans les années 1945-1980, a émergé, dont les maîtres mots sont « participation » et « réflexivité », et qui reconnaît la place de tous les acteurs dans la production de connaissances (Barré, 2017[1] ; Bonny, 2017[2]).
Sur la base de ces prémisses, les Petites bulles d’oxygène se proposent d’apporter leur contribution à la production de connaissances nouvelles et d’action sur le terrain, en se référant à ce nouveau contrat science-société dont la mise en œuvre reste, d’une certaine façon, à inventer.
Qu’est-ce qu’un praticien réflexif ?
Le concept de praticien réflexif a été élaboré par Donald Alan Schön (1983, rééd. 2016[3]) dans le prolongement des idées de John Dewey (1933[4]). La pratique réflexive est de plus en plus reconnue comme une compétence essentielle de tous les praticiens (enseignants, soignants, travailleurs sociaux), qui ont besoin d’analyser leur activité pour mieux comprendre et maîtriser leurs gestes professionnels, pour améliorer la qualité de leurs interventions et pour évaluer leur pertinence auprès des personnes qu’ils accompagnent (Marks-Maran et Rose, 2002[5]). La démarche réflexive permet donc de se rendre compte de son propre cheminement professionnel, dans une approche d’auto-évaluation. Elle sert de pont entre les connaissances tacites et l’action réfléchie et, pour certains auteurs, elle permet de développer l’esprit critique et d’élaborer un « contre-discours indispensable » à la remise en question de la « sagesse » professionnelle établie (Ghaye et Lillyman, 1997[6]).
Donald A. Schön propose un modèle d’« épistémologie de la pratique » (p. 49) distinguant réflexion sur l’action et réflexion en action.
La réflexion en action (in action) renvoie au processus de réflexion qui prend place au cours d’une activité, par exemple, prendre conscience de la nécessité d’apporter un changement de style de présentation au cours d’une séquence pédagogique. Il s’agit d’une « réflexion en une fraction de seconde » (Bolton, 2001[7]), au moment d’une activité ou durant le court laps de temps qui sépare la fin d’une activité et le début d’une autre. De plus, cette réflexion concerne un seul point de vue : le nôtre (Forrest, 2008[8]). Cela renvoie aux processus tacites de pensée qui accompagnent l’action, qui interagissent constamment avec la pratique en cours et la modifient de manière à ce que l’apprentissage ait lieu. Ils sont le plus souvent inconscients, tacites et non verbalisés (Clark & Yinger, 1977[9]).
La réflexion en action est complétée par la réflexion sur l’action (on action), c’est-à-dire le processus qui consiste à réfléchir à un événement ou une action a posteriori et, si possible, à en discuter avec un ou plusieurs collègues, un conseiller pédagogique ou tout autre personnes susceptible d’apporter un éclairage complémentaire (Forrest, 2008). Il s’agit alors d’une « réflexion systématique et délibérée sur ses actions » (Russell et Munby, 1992[10]), une analyse rétrospective de l’activité afin d’acquérir des connaissances explicites à partir de l’expérience.
Par la suite, les théoriciens critiques ont élargi les catégories de Schön en ajoutant la réflexion au sujet de l’action (about action) « c’est-à-dire les objectifs et les conditions sociales, économiques et politiques de l’enseignement et de l’apprentissage, ainsi que le contexte scolaire dans et hors de la classe (Zeichner, 1993[11]).
En résumé, la pratique réflexive consiste à rendre consciente et explicite l’interaction dynamique entre la pensée et l’action (Leitch & Day, 2000[12]). En pratique, différents modèles de réflexion permettant aux praticiens d’explorer leurs expériences et d’en tirer des leçons. Ils se présentent fréquemment sous la forme d’une série de questions ordonnées : la réponse à chaque question mène à l’étape suivante du cycle de réflexion. Par exemple, le modèle itératif de Gibbs (1988)[13] se présente sous la forme d’un cycle de six questions concernant la description d’une situation, les affects et pensées, l’évaluation des aspects positifs et négatifs, l’analyse a posteriori, la recherche de solutions alternatives et l’élaboration d’un plan d’action.
L’objectif de cette recherche-action collaborative est de favoriser l’émergence d’une réflexion collective stimulante qui permette à chacun de devenir « praticien-chercheur » et de progresser dans sa pratique professionnelle tout en faisant progresser la recherche scientifique.
Comment se déroule le projet ?
Les Petites bulles d’oxygène se tiendront 5 fois au cours de l’année scolaire 2019-2020, de 18h30 à 20h00 dans les locaux de la Lab School Paris, 12 rue d’Alexandrie, 75002 Paris :
lundi 30 septembre 2019
lundi 18 novembre 2019
lundi 20 janvier 2020
lundi 16 mars 2020
lundi 25 mai 2020
Chaque séance sera organisée de façon à :
• apporter sous la forme de « conférences-flash » des notions scientifiques générales susceptibles d’être réinvesties immédiatement en classe (par exemple, sur la motivation, la relation enseignant-élève, la gestion de classe). Les thèmes seront définis en concertation lors de la première séance, afin de répondre au mieux aux besoins et aux attentes des acteurs éducatifs
• permettre des temps d’échanges dynamiques, en binômes ou en petits groupes, sur les pratiques et les projets des enseignants dans leurs classes de façon à produire collectivement – sans surcroît de travail pour ces derniers – des données pertinentes aussi bien pour les enseignants que pour les chercheurs
• favoriser la création de collectifs apprenants et la réplicabilité des expérimentations en documentant les pratiques grâce à l’utilisation d’une plateforme développée dans le cadre du CRI par Ignacio Atal.
Une séance de restitution publique sera organisée à la fin de l’année à l’EHESS ou au CRI pour mettre en commun les expériences et améliorer le dispositif par la suite.
Ces rencontres sont ouvertes à tous les enseignants. Afin de permettre des échanges de qualité, le nombre de participants sera limité et un engagement à être présent à l’ensemble des rencontres est demandé. Si les dates prévues ne vous conviennent pas ou si vous n’habitez pas à Paris, pas de problème : d’autres ateliers seront organisés par l’équipe du CRI au cours de l’année scolaire 2019-2020.
Si vous êtes intéressés par ce projet ou si vous souhaitez en savoir plus, merci d’adresser un message à Pascale Haag (ph@ehess.fr). Pour connaître les dates des rencontres au CRI, vous pouvez vous adresser à Ignacio Atal (ignacio.atal@cri-paris.org).
[1] Barré, R. (2017). Pour une mise en politique de la recherche participative : quelques propositions programmatiques. In A. Gillet & D.-G. Tremblay (Éd.), Les Recherches partenariales et collaboratives. Rennes/Québec : Presses universitaires de Rennes/Presses de l’Université du Québec, p. 45-60.
[2] Bonny, Y. (2017). Les recherches partenariales participatives : Éléments d’analyse et de typologie. In A. Gillet & D.-G. Tremblay (Éd.), Les Recherches partenariales et collaboratives. Rennes/Québec : Presses universitaires de Rennes/Presses de l’Université du Québec, p. 25-44.
[3] Schön, D. A. (2016). The reflective practitioner : How professionals think in action. Abingdon : Routledge.
[4] Dewey, J. (1933). How we think, a restatement of the relation of the reflective thinking to the educative process. Boston, MA: Heath.
[5] Marks-Maran, D. & Rose, P. Reconstructing Nursing: beyond Art and Science. London: Bailliere Tindall, 2002
[6] Ghaye, T. & Lillyman, S. Learning Journals and Critical Incidents: Reflective Practice for Health Care Professionals. Dinton: Quay, 1997
[7] Bolton, G. Reflective Practice: Writing and Professional Development. London: Paul Chapman, 2001.
[8] Forrest, M. E. S. (2008). On becoming a critically reflective practitioner. Health Information & Libraries Journal, 25(3), 229‑232. https://doi.org/10.1111/j.1471-1842.2008.00787.x
[9] Clark, C. & Yinger, R. (1979) Three Studies of Teachers Planning, Research Series 55. East Lansing: Michigan State University.
[10] Munby, H. & Russell, T. (1989) Metaphor in the Study of Teachers’ Professional Knowledge, in A. Oberg & G. McCutcheon (Eds) Theory into Practice, 29(3), 55-61.
[11] Zeichner, K. M. (1993) Action Research: personal renewal and social reconstruction, Educational Action Research, 1, 199-220.
[12] Ruth Leitch & Christopher Day (2000) Action research and reflective practice: towards a holistic view, Educational Action Research, 8:1, 179-193, DOI: 10.1080/09650790000200108
[13] Gibbs, G. Learning by Doing: A Guide to Teaching and Learning Methods. London: Further Education Unit, 1988.
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