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Qu’est-ce qu’une éducation citoyenne aux sciences?

Petit déjeuner scientifique du 23 septembre 2022


Intervenante : Faouzia Kalali


Chaque trimestre, le Lab School Network organise des « Petits-déjeuners scientifiques ». Il s’agit de rencontres conviviales durant lesquelles un chercheur ou une chercheuse est invité.e pour parler de ses travaux sur différents thèmes touchant à l’éducation. Ces événements permettent de renforcer les liens entre la recherche, les acteurs de l’éducation et tous les citoyens apprenants.


À cette occasion, le Lab School Network a eu le plaisir d’accueillir Faouzia KALALI, maîtresse de conférences et HDR (habilitée à diriger des recherches) en didactique des sciences. Ses travaux sur le plan national et à l’échelle internationale portent sur l’éducation scientifique autour des questions des attitudes, de la pertinence, de l’approche curriculaire… Ces questions sont pensées dans le contexte des évaluations internationales, des reconfigurations curriculaires, des effets de genre ; en accord avec des enjeux politiques, épistémologiques préalablement identifiés et définis. Un ouvrage est actuellement sous presse : Perspectives curriculaires en éducation scientifique, Presses universitaires de Rennes, coll. Paideia

Nos sociétés connaissent des bouleversements cruciaux qui affectent différents champs – le climat, l’économie, les technologies, etc. De nouveaux défis se présentent pour les relations entre sciences et société, notamment entre des institutions comme l’école, la science et des publics comme les citoyens. Au cours de ce petit-déjeuner scientifique, nous nous sommes interrogés sur les possibilités d’une éducation aux sciences plus « citoyenne ». La dimension citoyenne est devenue une injonction qu’il convient d’analyser en tenant compte des contingences pour penser des futurs possibles.



Contenu de l'exposé

Dessine-nous la planète, CM2 par S Desprez.

Arthur 10 ans : « tous les animaux vont disparaître et l’été, il fera 60 °C »


Dans la société actuelle, où des problématiques urgentes surgissent, il y a une forte invitation à ce que les citoyens acquièrent une culture scientifique. Or, cette éducation citoyenne aux sciences ne va pas de soi.

Léandre 11 ans : « la terre c'est pas si horrible que ça. »

Au XXIe siècle, les rapports entre sciences et société ont connu d’importantes modifications. On observe une certaine résonance entre la société et l’école. Dès leur plus jeune âge, les élèves sont affectés par les discours des médias et par ce qui circule dans les milieux familiaux et scolaires. Lors de travaux réalisés dans une école primaire sur les problématiques contemporaines, la consigne suivante a été proposée aux enfants : « Dessine-moi la planète ». Les résultats des enfants étaient opposés : Arthur, 10 ans, représente un chaos où « tous les animaux vont disparaître » et où « l’été, il fera 60 degrés ». Léandre, 11 ans, est plus positif : la « terre [qui] n’est pas si horrible que ça ».



Aux origines de la formation du citoyen : la modernité


Avant le XXIe siècle, la citoyenneté et le fait de doter le citoyen de connaissances scientifiques étaient déjà abordés. La notion de modernité de Condorcet (1743-1794) préconisait alors qu’il fallait inculquer aux élèves une connaissance des institutions politiques et scientifiques, afin qu’ils deviennent des sujets émancipés, laïques et libres. Pendant cette période de la modernité, le progrès scientifique n’est pas remis en cause : la science est une valeur sûre ; elle enrichit grâce aux connaissances qu’elle développe et aux découvertes qu’elle apporte.



La rupture de la postmodernité


La postmodernité désigne les bouleversements structurels des modes de vie et de l’organisation sociale qui étaient propres au XXème siècle. Au XXIème siècle, la notion de risque et de multiples problématiques telles que les OGM, la santé (COVID), la dégradation de la planète (qualité de l’eau et de l’air), font leur éruption dans la société. Ce bouleversement remet en question la valeur de la science et du progrès scientifique. Il se traduit par le fait que la science n’est plus perçue comme une valeur sûre, et le progrès scientifique ne conduit plus uniquement au développement humain. C’est une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité. Cela crée une scission entre les citoyens et les scientifiques, le contrat social tacite entre les deux étant malmené.

Dans une société où les choses ne vont plus de soi et où la science n’est plus ce sanctuaire qui fait avancer la marche de notre société, on observe des nouvelles mobilisations, des mouvements de revendication et de re-questionnement. Le mouvement de Greta Thunberg, « Vendredi du climat”, en est un exemple. Les citoyens exigent qu’il y ait un regard sur les politiques menées. Les étudiants se mobilisent pour demander que leurs formations ne soient plus déconnectées des problématiques actuelles, qu’elles aient du sens. Cela a aussi amené à d’autres mouvements, comme celui du développement durable, car la donnée de l’humain ne va plus de soi.



Participation : mouvements des sciences participatives ; démocratie-technique


Pour qualifier cette rupture et ce changement globalisé, on utilise le terme de nouveau paradigme de régime de production des connaissances. Dominique Pestre, historien des sciences, parle de la techno-science comme « ayant la capacité de transformer si radicalement le monde, naturel ou social, que la question devient pleinement politique dans des sociétés de plus en plus éduquées scientifiquement, de plus en plus désireuses de maîtriser leur destin – et qu’il est sage de respecter démocratiquement » (Pestre, 2003). Au XXIe siècle, dans des sociétés de plus en plus éduquées scientifiquement, des enquêtes de « mesure de culture scientifique des citoyens » sont réalisées. On observe que de plus en plus de citoyens interrogés ont des connaissances sur certains évènements, et ont une bonne représentativité des problématiques globales. On note aussi qu’une méfiance prévalente demeure envers les sciences, les scientifiques et les politiques. La société connaît aussi une alphabétisation plus importante, une évolution des médias, la présence d’ouvrage de vulgarisation dès la primaire, et des ressources qui apportent un message sociétal (telle que la question du genre ou de l’environnement). Cela crée des individus de plus en plus désireux de maîtriser leur destin.


« La techno-science, et le monde industriel qui lui est lié, ont en effet la capacité de transformer si radicalement le monde naturel et le monde social que la question devient pleinement une question politique dans des sociétés de plus en plus éduquées scientifiquement, de plus en plus désireuses de maitriser leur destin – et qu’il est sage de respecter démocratiquement » (Pestre, 2003).

On passe d’une société top-down, où les décisions descendent verticalement, à une société où les citoyens revendiquent leur part de participation. Il est alors sage de respecter démocratiquement, c'est-à-dire d’inclure les citoyens dans le processus de production des connaissances, dans l’examen des problématiques sociétales et scientifiques. Ainsi, les missions des scientifiques ont été renforcées par des lois au service de la société, désormais inscrites dans la stratégie nationale de recherche comme la « loi de juillet 2013 » qui dispose « la promotion de la culture scientifique, technique, industrielle ou encore la valorisation des résultats de la recherche qui sont au service de la société ».



Appropriation vs contestation : à l’origine du changement du paradigme


La nouvelle vision qui émane des scientifiques eux-mêmes, revient à inclure les individus et citoyens qui apportent un nouveau regard sur les problématiques contemporaines. Par exemple, les proches de personnes atteintes du SIDA ont documenté ce parcours et ont travaillé avec les scientifiques pour croiser leurs observations. Le modèle a changé. Il n’est plus celui du « déficit des connaissances », qui instaure une grande différence entre l’expert (le sachant), et le citoyen (le non-sachant qui, par définition, n’avait pas de connaissances) et qui créait un canal de communication top-down, descendant du scientifique aux citoyens. La réappropriation et la contestation comme point de départ de ce nouveau paradigme, ont ainsi modifié les fonctionnements antérieurs.


« Le savoir et la connaissance ne sont au cœur de notre monde que « médiés » par une existence sociale ; ce n’est pas le savoir en lui-même qui transforme notre monde mais un savoir pris dans des formes d’appropriation et de mise en valeur bien particulières. Ce qui est neuf aujourd’hui relève peut-être d’une certaine efficacité propre des savoirs, mais relève surtout de l’invention d’un nouveau mode de mobilisation de ces savoirs dans un ordre économique et politique différent » (Pestre, 2003)

En affirmant que « le savoir et la connaissance ne sont au cœur de notre monde que « médiés » par une existence sociale », Dominique Pestre entend que la vulgarisation scientifique et le savoir doivent être amenés à un niveau de compréhension pour les citoyens. Ce n’est pas le savoir en lui-même qui va changer le monde, mais un savoir réapproprié et mis en valeur de manière particulière. Il faut appréhender le savoir en lien avec l’individu qui lui est destiné. Ce nouveau régime de production du savoir renvoie à une communauté de pairs, scientifiques et citoyens, qui co-construisent des problématiques avec une expertise qui est questionnée à nouveaux frais.



Nouveau régime reproduction de savoirs attesté par les sciences studies ou sciences sociales

Concrètement, que va changer ce nouveau paradigme sur le terrain ?


À partir du moment où le modèle top-down a été remis en cause, est apparue une discussion autour de la compréhension publique de la science. Il faut donc changer le mode de communication des scientifiques et les former à communiquer avec la société. De là sont nés différents mouvements (dont la citizen science) qui font intervenir deux modèles de validation des connaissances. Auparavant, il n’y avait que le modèle de la science expérimentale, qui consistait à poser un problème, puis une hypothèse, que l’on expérimente, et enfin énoncer une loi après validation, sans passer par les citoyens. Depuis, s’est ajouté un autre mode de validation : la communication des scientifiques envers le public et surtout la place accordée aux citoyens dans le processus de production des connaissances. Le citoyen est reconnu dans sa valeur de « sachant » qui vit les problématiques et qui peut donc rentrer dans le processus de co-problématisation et essayer de trouver des solutions.



L’Enjeu éducatif

Mais quel est l’enjeu éducatif ?


Comme le souligne Eduscol, « par les SVT, il faut amener les élèves à faire des choix raisonnés, à participer à la prise de décision individuelle ou collective ». Ainsi, les recherches académiques transforment les pratiques et pénètrent l’école.

Qu’est-ce que cela veut dire que les activités scolaires s’inscrivent dans cette revendication citoyenne et cette formation des citoyens ?

Cela signifie qu’il faut ajouter un nouveau modèle au modèle dominant, qui consiste à problématiser, argumenter, décrire et faire une analyse critique. Le nouveau modèle intègre une discussion avec des experts, dans le but d’amener le pouvoir du côté des citoyens, des élèves.

Lorsque deux productions scientifiques se contredisent, cela est lié au fait que nous sommes dans une période d’urgence qui se traduit par un partage très rapide du savoir dans la société. Il s’agit d’amener les élèves à réfléchir au fait que si les scientifiques ne sont pas toujours d’accord, c’est naturel, car c’est de cette façon que fonctionne la science. Les classifications changent, les programmes évoluent car la science avance dans le temps et est falsifiable. C’est à force de croiser les résultats, de mettre à l’épreuve et d’expérimenter, que l’on arrive à une stabilisation des savoirs. La discussion avec les experts engage les élèves dans cette attitude scientifique d’entrer en communication avec des sachants. Pour arriver à la politique du consensus, il faut choisir, selon différents facteurs, une solution commune au sein d’une multitude de solutions. Pour que le citoyen interpelle l’expert, il faut qu’il ait un savoir de base, une connaissance de problématisation et viser la prise de décision.

Il est aussi nécessaire de s’attacher aux primats (au sens de Martinand) et à l’échelle de développement. Les primats relèvent de ce qui commence dès l’école primaire : une initiation à la recherche scientifique, aux sciences. L’échelle de développement relève des dispositions, des conceptions initiales et des cheminements des élèves. Ces aspects relèvent de l’affectif et sont sous-estimés dans les réflexions et les processus d’apprentissages.



Les formes possibles d’une éducation citoyennes aux sciences


Tout d’abord, on note la possibilité d’une élaboration interprétative. Il s’agit d’un fonctionnement scientifique avec des bases et une méthodologie pour aller vers l’action. Pour que la société actuelle soit solide, il faut que les individus puissent agir individuellement et collectivement.

L’éducation citoyenne est donc un mélange de plusieurs facteurs : permettre aux individus de savoir identifier les enjeux, d’entrer en analyse de ces enjeux, d’identifier les impacts, d’élaborer des projets d’actions, des solutions. Il est donc nécessaire de trouver des supports adaptés.



Article rédigé par : Emma Lahuppe et Sibylle Dodier, Services civiques à la Lab School Paris











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