Les Lab School,
entre recherche
et éducation
Qu'est-ce-qu'une Lab School ?
Une « école laboratoire » (laboratory school) est une école adossée à un département d’université ou à une institution qui forme des enseignants. Trois activités complémentaires y sont associées : l’enseignement, la formation et la recherche (Wilcox-Herzog & McLaren, 2012). Du fait de cette structuration, un lien organique se tisse tout naturellement entre éducation et recherche, qui permet de « développer et de tester de nouvelles approches, en modélisant les meilleures pratiques » (Cucchiara, 2010).
De telles écoles existent de longue date sur les campus universitaires : selon Cassidy & Sanders (2010) — qui ne citent pas la source de cette information –, leur existence serait documentée dès le xviie siècle, en Europe aussi bien qu’outre Atlantique, ou encore au Japon, où elles sont nommées attached schools (Hayo, 1993, cité par Cassidy & Sanders, 2010). Les lab schools ont connu un développement considérable aux États-Unis entre le milieu du xixe et du xxe siècle et ont joué un rôle majeur dans le champ de la recherche en éducation. L’une des plus célèbres a été fondée en 1894 à Chicago par le psychologue et philosophe John Dewey (1959–1952) dans le courant de la progressive education. Elle a ouvert ses portes en janvier 1896 avec douze enfants (ou 16, selons les sources) et un enseignant, puis s’est progressivement agrandie jusqu’à compter 140 élèves (principalement issus de milieux favorisés), 23 enseignants et 10 étudiants assistants d’enseignement en 1901 (Knoll, 2014). Parmi les lab schools les plus connues aujourd’hui, citons celles de UCLA, de Washington, de New York, ou de Toronto.
La multiplication des lab schools au cours de la première moitié du xxe siècle a permis de mener à bien nombre d’expérimentations pédagogiques dans un cadre où elles pouvaient être évaluées de manière rigoureuse au fur et à mesure de leur implémentation. Elles ont notamment beaucoup apporté à notre connaissance sur le développement de l’enfant. C’est, par exemple, dans de tels cadres qu’a été élaborée la théorie de l’esprit par John Flavell (Wilcox-Herzog & McLaren, 2012) et que le fameux test du marshmallow mis au point par Walter Mischel a permis de découvrir le lien entre la capacité à différer la gratification et les chances de réussite dans la vie. Selon les contextes, une importance variable est accordée à la formation et la recherche. À Chicago, par exemple, la recherche occupait clairement une position privilégiée, tandis que la formation de professionnels de l’éducation passait au second plan. À l’inverse certaines écoles ne se focalisent pas sur la recherche, mais s’attachent à mettre en application les théories de Dewey, comme par exemple, la Greenwood Laboratory school de l’université du Missouri (Cucchiara, 2010) ou à fonder leur pédagogie sur les recherches récentes en éducation, comme la Khan Lab School. Cette dernière n’est même pas affiliée à une université, mais justifie le choix du terme lab school sur son site : As a lab school, we monitor existing and new findings in education research and learning science to inform our programmatic choices.
Dans tous les cas, en intégrant une école dans le campus, l’université assume une responsabilité qui est traditionnellement en dehors de son domaine, comme le souligne Maia Cucchiara (2010). La création de la plupart de ces écoles est indissociable d’une évolution plus générale de l’enseignement supérieur, qui se traduit aux États-Unis par un engagement civique et communautaire accru de la part des grandes universités de recherche.
Les lab schools sont le plus souvent privées, car les universités établissent leurs propres charter schools, mais rien ne s’oppose à ce qu’une lab school soit un établissement public. Simple question de volonté politique. Il en existe au moins une aux États-Unis : en 1998, the Pennsylvania Gazette annonce que l’université de Pennsylvanie a conclu un partenariat avec une école publique et avec la fédération des enseignants de Philadelphie pour ouvrir, trois ans plus tard, une première lab school publique. Cette école bénéficie d’une importante aide de la part de l’université (700.000 $ par an, soit 1000 $ par élève), une aide destinée à permettre le recrutement d’enseignants supplémentaires pour diminuer le nombre d’élèves par classe et améliorer ainsi considérablement le taux d’encadrement par rapport à ce qu’il était auparavant (le problème des classes surchargées n’est pas, on le sait, propre à la France).
Un réseau international fédéré par l’International association of Laboratory and University Affiliated Schools (IALS)
Carte des Lab Schools dans le monde
Dans un environnement de plus en plus international, des liens ont commencé à se tisser entre les lab schools du monde entier. Nombre d’entre elles sont aujourd’hui affiliées à International association of Laboratory and University Affiliated Schools (IALS). Au moment de sa création (dont la date précise n’apparaît pas sur Internet), cette association avait uniquement un rayonnement national et se nommait la National Association of Laboratory and University Affiliated Schools (NALS). Après un demi-siècle d’existence, un nombre croissant d’institutions étrangères ayant rejoint l’association, le nom a été modifié pour refléter la diversité des membres. La NALS est devenu IALS. Mais on trouve encore la trace du nom d’origine dans la revue publiée par l’IALS qui demeure le NALS Journal. L’IALS fédère une centaine d’écoles associées à des établissements d’enseignement supérieur ou à des équipes de chercheurs dans le monde entier. Elle finance des projets de recherche et organise une conférence annuelle où les membres ont la possibilité de se rencontrer.
Ainsi que l’indique le site de l’IALS, la définition retenue pour désigner une lab school est volontairement très large, de façon à accueillir des configurations très diverses. Et en effet, celles-ci diffèrent considérablement en fonction des contextes dans lesquels sont créées les écoles : une lab school peut être un établissement formellement intégré à un département d’université, comme celle fondée par J. Dewey. C’est le cas de la majorité des lab schools nord-américaines et japonaises, comme la Shinwa Kindergarten School of Kobe Shinwa Women’s University, l’une des lab schools les plus récemment affiliées à l’IALS.
Mais il peut également s’agir d’un dispositif mis en place par une école qui s’adjoint les compétences de chercheurs afin de proposer une pédagogie « fondée sur les preuves » (evidence-based). C’est notamment le cas de la toute récente Labyrinth School de Brno, en République tchèque, qui a ouvert ses portes en septembre 2016. Fondée sur le respect des besoins individuels des enfants, elle vise à permettre à chacun d’eux de développer au maximum son potentiel. Elle fonctionne en association avec un think tank composé de chefs d’établissement, d’enseignants, d’universitaires, d’organisations non gouvernementales et de représentants du ministère de l’Éducation et se définit comme une école « moderne, ouverte, accueillante, bilingue, créative, active, communautaire, pour tous, pour le futur ». La Labyrinth School a été la première lab school à rejoindre à l’IALS en Europe.
Partage des savoirs et dissémination des pratiques : la pédagogie « fondée sur les preuves »
(evidence-based)
Au-delà de l’hétérogénéité des dispositifs, une lab school se caractérise par une participation à la construction des savoirs et par l’application à l’éducation d’une approche scientifique ou « éducation fondée sur les preuves » (evidence-based). Ainsi que le fait observer le chercheur Franck Ramus, le mot « preuve » dans l’expression evidence-based fait référence à des données factuelles, plus qu’à de véritables preuves. L’idée est de promouvoir les pratiques éducatives basées sur de telles données, par opposition aux pratiques fondée sur de simples représentations ou sur des philosophies. Mais de fait, cette dernière approche est encore peu développée en France, où éducation et recherche font toujours figure de « couple improbable ».
Aujourd’hui cependant, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent dans notre pays en faveur de l’accroissement des liens entre recherche et éducation, comme celles du chercheur François Taddei ou de la ministre de l’Éducation Najat Vallaud Belkacem. Différentes initiatives récentes sont de nature à les renforcer : c’est notamment le cas des Lieux d’éducation associés (LéA) mis en place dans le cadre de l’Institut français d’éducation (IFÉ), du premier Institut Carnot de l’éducation (ICÉ) et de projets tels que La Main à la pâte, les Savanturiers ou Syn Lab.
Mais le nombre d’enseignants et, par voie de conséquence, d’élèves qui bénéficient de cette évolution reste limité. Pour permettre le passage à l’échelle, il faut améliorer la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que le préconisent de façon unanime les études et rapports informés par la recherche publiés depuis la rentrée 2016, qu’il s’agisse du rapport sur les inégalités à l’école du CNESCO, de l’étude TIMSS ou de l’enquête PISA.